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La Turquie veut doubler la taille de son réseau ferroviaire mais ferme ses gares mythiques

La gare d'Haydarpasa à Istanbul

La gare d'Haydarpasa à Istanbul - AFP

Alors que son président Recep Tayyip Erdoğan annonce vouloir doubler la taille du réseau ferroviaire d'ici 2053, à Istambul, une des plus anciennes gares du pays risque bien de ne plus accueilir de trains.

La Turquie entend accélérer en matière de réseau ferroviaire. Dans un tweet, Recep Tayyip Erdoğan, le président du pays, annonce la couleur: doubler la taille de ce réseau en moins de vingt ans.

"Nous avons investi 64 milliards de dollars au cours des 23 dernières années, portant notre réseau ferroviaire à 13.919 kilomètres, dont 2.251 kilomètres de lignes à grande vitesse, et nous continuons d'ajouter de nouvelles lignes. Notre objectif est d'étendre notre réseau ferroviaire à 17.500 kilomètres d'ici 2028 et à 28.600 kilomètres d'ici 2053. La construction de nos projets, chacun unique en son genre, se poursuit. Je suis convaincu que, comme pour nos autres rêves, nous atteindrons sans aucun doute cet objectif".

Orient-Express et liaisons vers Damas, Bagdad

Au carrefour de l'Europe et de l'Asie, la Turquie a longtemps été un pays où le train était stratégique avec un réseau national assez maillé. La construction de la première ligne a commencé en 1856, sous l'Empire ottoman, par une compagnie britannique.

La position géographique du pays a longtemps dynamisé les liaisons internationales vers l'ouest, l'Europe de l'est ou encore le Moyen-Orient jusqu'à Damas, Bagdad... Avant que plusieurs liaisons ne soient fermées à cause des guerres ou tout simplement d'une fréquentation trop faible.

La gare d'Istanbul Sirkeci a ainsi longtemps été le terminus des mythiques Orient-Express et Simplon Orient Express. Mais aujourd'hui, elle ne voit passer que deux trains internationaux vers la Grèce et l'Europe de l'Est.

D'ailleurs, les grandes gares du pays ont tendance à fermer. Dernier épisode en date avec la mythique et magnifique gare d'Haydarpasa à Istanbul, la plus vieille du pays mais qui ne voit plus passer de trains depuis des années.

Depuis 2013, ses voies sont silencieuses et le ministère turc de la Culture l'a reprise pour la transformer en centre d'art, raconte l'AFP. Pour Senay Kartal, désormais retraitée de 61 ans, le bâtiment néoclassique inauguré en 1908, posé au bord de l'eau, doit rester une gare. "Les gens venant d'Anatolie pouvaient passer la nuit dans les salles d'attente, pas besoin d'hôtel", se souvient-elle.

Des gares mythiques qui ne voient plus passer de trains

La gare, d'où des Arméniens ont été déportés en 1915, a ensuite vu "affluer les migrants de la Turquie rurale vers Istanbul", rappelle Ayça Yüksel, sociologue et spécialiste de l'histoire de Haydarpasa.

Toujours debout, sa façade presque intacte après de longues années de travaux, il ne lui manque que les trains pour lui redonner vie.

En 2013, la gare a fermé, d'abord pour être restaurée; puis des fouilles, qui se poursuivent, ont révélé des éléments datant du Ve siècle avant JC. En 2024, la gare a été placée sous le contrôle du ministère de la Culture et la première phase d'un futur Centre culturel et artistique doit être achevée d'ici 2026.

Le projet implique de vider le bâtiment, dont une partie du complexe abrite les logements du personnel ferroviaire, sommé de quitter les lieux. "Ce n'est pas seulement un bâtiment, c'est tout pour nous", objecte Hasan Bektas, conducteur de train et membre de la Plateforme Haydarpasa, collectif d'universitaires, d'urbanistes et d'employés opposés au projet.

L'emplacement, face au Bosphore, aiguise l'appétit des investisseurs. "Leur objectif est toujours le même: faire du profit sur chaque bel endroit. Le dévaloriser puis l'exploiter", s'emporte-t-il, affirmant que "l'intérêt public n'a jamais été pris en compte".

L'emplacement, face au Bosphore, aiguise l'appétit des investisseurs

En octobre 2024, le ministre de la Culture Nuri Ersoy s'était pourtant engagé à maintenir la gare en activité. "Il y aura des trains à Haydarpasa et à Sirkeci (son pendant sur la rive européenne), un centre culturel et un jardin public. Mais ni centre commercial ni hôtel", avait-il promis.

Au début des années 2000, des projets audacieux avaient été évoqués: sept gratte-ciel, un World Trade Center, un stade olympique... "Personne ne s'est jamais battu pour la conserver dans sa forme originale", peste Hasan Bektas, pour qui Haydarpasa est pourtant une "icône mondialement connue".

Tous les dimanches depuis 2012, des manifestants se rassemblent près du bâtiment en scandant Haydarpasa est une gare et doit le rester. Pour l'architecte Gül Koksal, Haydarpasa était bien plus qu'une gare, avec ses logements, ses ateliers de réparation et son port. "C'est un joyau, mais il n'a de sens que s'il est préservé et maintenu en vie avec tout ce qui le compose", appuie-t-elle.

Olivier Chicheportiche avec AFP