France, Royaume-Uni, Allemagne... Au plus haut depuis 15 voire 30 ans, pourquoi les taux d'intérêt des dettes européennes s'emballent

Coup de chaud sur la dette: les taux d'intérêt des emprunts à long terme ont grimpé en Europe mardi, signe des inquiétudes croissantes des investisseurs sur le sérieux budgétaire des États.
Le taux d'emprunt à 30 ans de l'État britannique a dépassé mardi les 5,70% pour la première fois depuis 1998. De même, pour la France, le taux a franchi le seuil des 4,50%, du jamais vu depuis 2009.
Les taux d'emprunts allemands et néerlandais à 30 ans se situent également à des sommets qu'ils n'avaient pas connus depuis 2011. Un phénomène qui dépasse même les frontières de l'Europe: les taux américains à 30 ans frôlaient mardi le seuil des 5%. Plus la dette d'un État, ou obligation, est recherchée par les investisseurs, plus son taux va baisser. En revanche, les investisseurs cherchent à être mieux rémunérés lorsqu'ils jugent la dette d'un État plus risquée.
"Ce qui se passe sur le segment à 30 ans fait partie d'un vaste mouvement de réévaluation des finances publiques" partout dans le monde, affirme Stephen Innes, gérant de SPI AM, interrogé par l'AFP.
Crise de confiance
Or, le constat est sans appel: "les gouvernements affichent des déficits plus importants" et "les ancrages budgétaires paraissent moins sûrs", souligne Stephen Innes. Les investisseurs continuent d'investir dans la dette des États mais demandent un rendement plus élevé pour compenser le risque encouru.
En France, les marchés ne se sont toujours pas totalement remis du choc de la dissolution de l'Assemblée nationale en juin 2024 par le président Emmanuel Macron qui avait "largement entamé la confiance envers les obligations françaises", relève Ipek Ozkardeskaya, analyste chez Swissquote Bank. Ils voient dans les derniers gros titres un retour à l'instabilité politique, à l'approche d'un vote de confiance à l'Assemblée nationale qui devrait sceller le sort du gouvernement du Premier ministre François Bayrou.
Pour Stephen Innes, la France ne fait donc pas face à un véritable risque de "solvabilité" mais plutôt du manque "de mise en oeuvre" de politiques d'économies budgétaires, tant que Paris "n'aura pas produit une trajectoire crédible de réduction du déficit et stabilisé sa situation politique". Au Royaume-Uni, les investisseurs sanctionnent un récent mini-remaniement du gouvernement, laissant craindre que "Rachel Reeves, la chancelière de l'Échiquier, soit progressivement écartée", note Kathleen Brooks, directrice de la recherche chez XTB.
"La dernière fois que sa position avait été menacée, début juillet, les rendements obligataires avaient bondi, les marchés redoutant qu'elle ne soit remplacée par un membre du Parti travailliste plus à gauche", et donc vu comme plus dépensier, explique-t-elle.
L'Allemagne a quant à elle rompu avec des années de rigueur budgétaire avec des annonces en début d'année d'investissements colossaux pour les infrastructures et la défense, rappelle Charlotte de Montpellier, économiste d'ING. La première économie européenne "dépense davantage avec son plan d'investissements, ce qui a tendance à relever les taux à long terme" en Europe, note-t-elle.
Aux États-Unis les investisseurs craignent que la politique commerciale de Donald Trump n'alimente l'inflation et que l'indépendance de la Réserve fédérale américaine soit menacée. En découle "une crise de confiance plus large dans les finances publiques" à l'échelle globale, résume Stephen Innes.
Un mouvement de fond
À ces dynamiques intrinsèques à chaque État s'ajoute une logique de fond. Les taux longs mondiaux montent avec l'arrêt du soutien des grandes banques centrales, qui avaient acheté en masse des titres de dette à longue échéance pour stabiliser les marchés financiers et soutenir les économies avec l'éclatement de la pandémie du Covid-19.
La Banque centrale européenne (BCE) avait par exemple lancé un programme d'urgence (PEPP pour Pandemic Emergency Purchase Programme) consistant en 1.850 milliards d'euros de rachats de dette, pour soutenir États et entreprises. Les réinvestissements de la BCE ont cessé fin 2024.
Et "maintenant que les banques centrales se sont retirées", "l'acheteur de dernier recours a disparu", souligne Stephen Innes, laissant le marché aux forces du marché, qui exigent désormais une prime plus élevée.