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Harcèlement homophobe, enquête réclamée... Ce que l'on sait du suicide d'une directrice d'école le jour de la rentrée

L'école de Moussages, dans le Cantal, le 2 septembre 2025

L'école de Moussages, dans le Cantal, le 2 septembre 2025 - BFMTV

Caroline Grandjean, alors directrice d'une école primaire dans le Cantal, avait été victime d'un harcèlement homophobe sur plusieurs mois en 2023 et 2024. Elle avait dénoncé le manque de soutien de l'Éducation nationale face à cette affaire.

La professeure des écoles Caroline Grandjean, qui avait été victime d'un harcèlement homophobe pendant plusieurs mois et avait dénoncé le manque de soutien de l'Éducation nationale, s'est suicidée ce lundi 1er septembre, jour de la rentrée scolaire.

"Caroline aura tenté du mieux qu'elle pouvait de se reconstruire. Mais la blessure était trop profonde. Elle a choisi de se donner la mort ce lundi 1er septembre, jour de la rentrée scolaire", a annoncé l'auteur de bande dessinée Remedium sur X lundi soir.

Une procédure en "recherches des causes de la mort" a été ouverte par le parquet d'Aurillac (Cantal), a appris BFMTV d'une source proche de l'enquête.

• Un harcèlement homophobe

Remedium, auteur de l'ouvrage Cas d'école, qui racontait le parcours de plusieurs enseignants, avait partagé l'histoire de Caroline Grandjean dans une BD publiée sur les réseaux sociaux en janvier. Les faits ont débuté en décembre 2023, lorsqu'elle était directrice de l'école primaire de Moussages, village de 250 habitants dans le Cantal.

Caroline Grandjean avait alors découvert un tag homophobe "sale gouine" sous le préau de son école. Choquée et ne parvenant pas à retourner au travail, elle avait dû être arrêtée et avait déposé plainte, informant les parents d'élèves de la situation.

Selon la BD, elle n'avait reçu "aucun soutien" des parents d'élèves ou de la mairie, qui s'étaient plaints "auprès de l'inspection d'avoir été mis mal à l'aise par le message de Caroline". L'inspectrice avait alors "reproché" son message à Caroline Grandjean, d'après son récit.

Elle avait ensuite découvert plusieurs autres tags homophobes à l'école et une menace de mort dans la boîte aux lettres de l'établissement, un mot indiquant "va crever sale gouine". Après plusieurs plaintes déposées, la directrice avait fini par quitter son poste, dénonçant, auprès de Remedium, l'indifférence de l'Éducation nationale et la violence, à son encontre, de l'institution qui voulait la changer d'établissement contre son gré.

Sur X, l'auteur de BD affirme qu'"il y a trois jours à peine", Caroline Grandjean lui a écrit pour lui faire savoir que "l'inspectrice qui ne l'avait pas soutenue était promue, devenant l'assistante de la Directrice académique". Il estime que cela a été "le dernier clou de son cercueil" et qu'elle a été "broyée par un système et qu'elle ne demandait que la justice".

• L'Éducation nationale pointée du doigt

Plusieurs syndicats ont réagi à la mort de la professeure des écoles lundi, dénonçant la réaction de l'Éducation nationale face à cette affaire. La FSU-SNUipp, principal syndicat du primaire, souligne qu'elle "a mis fin à ses jours, après de longs mois de harcèlement lesbophobe sur son lieu de travail" et réclame l'ouverture d'une enquête administrative "afin d'éclaircir les différentes responsabilités au sein de l'Education nationale qui, en tant qu'employeur, n'a pas été en capacité de protéger".

"Broyée par l'institution, par son village, par ses par(ents) d'élèves, elle avait écrit sur un groupe de directeurs: 'Lundi... sera bien plus difficile pour moi que pour vous'. Nous sommes dévastés", a déclaré sur X le Syndicat des Directrices et Directeurs d'École, le S2DÉ, qui demande une enquête administrative "a minima".

"L'homophobie tue. L'absence de soutien aussi. Tristesse, colère et toutes mes pensées à Caroline et ses proches.", a aussi écrit la secrétaire générale du Snes-FSU, Sophie Vénétitay, sur Bluesky.

Contacté par BFMTV, le ministère de l'Éducation nationale a déploré "le décès tragique d’une professeure des écoles dans le Cantal", un "drame qui suscite une vive émotion au sein de la communauté éducative".

Selon le ministère, une cellule d'écoute a été activée ce mardi dans la circonscription de Mauriac pour accompagner les équipes éducatives. "La rectrice de l’académie de Clermont-Ferrand va saisir la formation spécialisée santé, sécurité et conditions de travail départementale afin qu’elle puisse conduire les investigations et formuler les préconisations nécessaires", a-t-il ajouté.

"C'est avec une grande tristesse que nous avons appris le décès de Madame Caroline Grandjean-Paccoud, professeure des écoles et directrice de l’école Moussage. Nous adressons nos plus sincères condoléances à son épouse, sa famille, ses collègues et les élèves qu'elle a formés", a aussi réagi l'académie de Clermont-Ferrand auprès de BFMTV.

"L'académie de Clermont-Ferrand suivait de près sa situation, préparant son retour en tenant compte de ses souhaits", assure-t-elle encore, refusant de faire d'autres commentaires "par respect pour ses proches".

• Les parents d'élèves "sous le choc"

Remedium pointe aussi "le corbeau qui l'a abreuvée d'insultes homophobes et de menaces de mort, les villageois et le maire qui ne l'ont pas soutenue, les collègues de son académie aux abonnés absents" qui ont "contribué à creuser sa tombe". Lorsque l'affaire a été médiatisée en 2024, cela a "exaspéré au plus haut point la mairie et les habitants en raison de la mauvaise image que cela peut donner du village", expliquait-il dans sa BD en janvier.

Auprès de BFMTV ce mardi, certains habitants de Moussages ont dit craindre que "la stigmatisation ne reparte" car pendant plusieurs mois, ils ont été l'objet d'insultes sur les réseaux sociaux, de la part de personnes qui estimaient que tous les habitants du village étaient homophobes. Julien Audinet, représentant des parents d'élèves de l'école de la commune, déplore aussi une "généralisation" et un "amalgame".

"Tout le monde est sous le choc" et "nous ne pouvons qu'être attristés par cette nouvelle du décès de Madame Grandjean", a-t-il déclaré ce mardi à BFMTV.

Face aux tags homophobes, des faits "vraiment injustes et horribles", "nous avons tout de suite apporté à Madame Grandjean notre soutien, nous avons toujours essayé d'œuvrer en collaboration avec la mairie et avec l'Éducation nationale", a ajouté le représentant des parents d'élèves. "Peut-être n'en avons-nous pas fait assez, peut-être avons-nous été maladroits, je ne sais pas, en tout cas, ça n'a pas suffi", a-t-il regretté.

• Les plaintes classées sans suite

Une enquête sur les tags et menaces visant la professeure des écoles avait été ouverte par le parquet d'Aurillac en juillet 2024. Procédure dans laquelle les différentes plaintes déposées par Caroline Grandjean avaient été rassemblées.

"Cette procédure a fait l'objet d'un classement sans suite en mars 2025, indique à BFMTV, Sandrine Delorme, la procureure de la République d'Aurillac. Les enquêteurs n'ont pas ménagé leur peine mais ne sont pas parvenus à identifier l'auteur des inscriptions. La procédure a donc été classée sans suite pour cette raison." De plus, toujours selon la procureure, les faits dénoncés par l'enseignante avaient cessé lorsque la procédure a été classée sans suite.

Désormais, la procédure en "recherches des causes de la mort" va devoir faire le point pour savoir si un lien peut être établi entre le suicide de l'enseignante et les injures dont elle a été la cible dans le passé. Des auditions doivent notamment avoir lieu pour cela.

01.48.06.42.41: la ligne d’écoute anonyme de SOS Homophobie
La ligne d'écoute de SOS homophobie est animée par des bénévoles formés à recueillir les témoignages et apporter aux victimes attention, réconfort et pistes de solutions dans le plus strict anonymat. Ce numéro est joignable du lundi au jeudi de 18 heures à 22 heures, le vendredi de 18 heures à 20 heures, le samedi de 14 heures à 16 heures et le dimanche de 18 heures à 20 heures.

3114: le numéro national de prévention du suicide

Le 3114 est le numéro à contacter si vous êtes en détresse psychique ou si vous avez des idées suicidaires. Vous pouvez également le contacter si un de vos proches est dans ce cas. Il propose une écoute avec des professionnels de santé spécialement formés, et est disponible sept jours sur sept, 24 heures sur 24.

Sophie Cazaux avec Véronique Fèvre, Vincent Vantighem et Elise Philipps